L'Art-thérapie!

Entretien avec Katia Gonzalez paru dans la Revue Synodies. Sept 2013


L’art-thérapie est un accompagnement dans un processus de création et de transformation, permettant au patient d’aller vers un mieux être, un « Etre plus », « un Etre davantage ». 

A travers  l’écriture, la danse, la musique, la voix, le clown, le masque, les marionnettes, le théâtre, ou encore les arts plastiques  (argile, peinture, encre de chine, collage, photo…), nous inventons des conditions, des situations permettant à l'enfant, à l'adolescent, à l'adulte de s'appréhender dans sa globalité, sa différence, sa subjectivité.

dans le plus grand respect sa dignité humaine à et lui  s'ppréhende dans sa globalité, à l'affut de ce qui émane d'elle, d'inédit, de singulier... inventer les conditions, les situations, pour que les choses adviennent, pour 
Il s’agit donc d’un parcours symbolique en création et d’un travail sur la posture du patient, et non sur le contenu de ses difficultés,  de ses douleurs, de ses répétitions.  à la position de Sujet Créateur.
Ainsi, la fonction de l’art-thérapeute est d’accompagner discrètement et avec prudence le patient vers plus de profondeur et d’ouverture.
Discrètement et avec prudence pour respecter ses mécanismes de défenses, ses résistances au changement, sa singularité et son rythme ; ce qui ne veux pas dire sans un engagement ni une présence totale de l’art-thérapeute vis-à-vis de son patient.

L’objectif n’est pas d’enseigner une technique, de reproduire un modèle, ni de faire du « beau », mais de guider chacun dans son élan créateur. D’où l’importance du choix de la médiation en fonction du patient, de ses potentialités, de ses blocages et de sa problématique. Il est important de proposer une médiation qui ne soit pas trop confrontante, ni trop aisée. Par exemple, nous ne choisirons pas le théâtre pour quelqu’un de très inhibé, ou bien la danse avec quelqu’un ayant un très mauvais rapport à son corps, ou encore les arts plastiques à un peintre ou un sculpteur, qu’il soit amateur ou professionnel.

L’art-thérapie s’adresse à tous les publics quel que soit leur difficulté ou leur souffrance (physique, sociale, psychologique, existentielle), qu’il s’agisse d’enfants, adolescents, adultes ou personnes âgées. Elle se pratique en groupe ou en individuel, avec des objectifs très différents. Elle est particulièrement adaptée lorsque les mots sont impossibles car  trop douloureux, indicibles  (violence, inceste, deuil...), ne peuvent être dits (enfant, adolescent, somatisations, maladies), ou n'apaisent pas (problématiques de dépendance.).

 « Pour accueillir quelqu’un, il faut se mettre dans le même paysage. On repeint alors tout ça, ce n’est pas par intuition, c’est direct, ça n’est visible non plus, c’est senti. » Jean Oury, Création et schizophrénie


Quel est le but de l’art-thérapie ?

Pour Jean-Pierre Klein, pionnier de l’art-thérapie en France et Directeur de l’INECAT, « le but de l’art-thérapie est de partir, dans le cadre d’un processus créatif, de ses douleurs, de ses violences, de ses contradictions, pour en faire un matériau de cheminement personnel ».

Au-delà d’un moyen d'expression, le but de l’art-thérapie est de guider vers une création inédite et singulière, vers l’inédit et l’inconnu de soi.
Au delà de l’expression et de l'apaisement, il s’agit d’ouvrir un espace dans lequel la personne, de production en production, se transforme, chemine à sa manière, grandit,  trouve ou retrouve du sens, se connecte à ses ressources vives.

C’est pourquoi l’art- thérapeute devra inventer un espace où l’exploration, l’audace, le choix, le jeu, la surprise, les détours et autres chemins de traverses soient possibles dans l’expérience de création.
Avec un cadre et un dispositif adaptés,  les projections se font implicites et la figuration de l’indicible, de façon poétique, amène les patients à des « surprises de conscience », comme une révélation, quelque chose qui soudainement prend corps et sens.


« Si l’on recherche la signification originelle de la poésie, aujourd’hui dissimulée sous les milles oripeaux de la société, on constate qu’elle est le véritable souffle de l’homme, la source de toute connaissance (…). En elle se condense toute la vie spirituelle de l’humanité  (…), elle garde perpétuellement en réserve les cristaux incolores des moissons de demain ». Benjamin Peret, poète


Comment se pratique l’art-thérapie aujourd’hui en France ?

L’art-thérapie est assez présente dans les milieux hospitaliers (psychiatrie, cancérologie, gériatrie, TCA, alcoologie...), dans les institutions pénitentières, ou encore dans des associations de prévention et de soutien à des personnes en grande précarité, en difficultés sociales, scolaires, physiques ou mentales (je pense en particulier à la maladie d’alzheimer). Elle est moins connue du grand public, comme une solution alternative aux psychothérapie plus  traditionnelles par la parole.

Il me semble important de différencier de l’art-thérapie, les psychothérapies ou psychanalyses qui proposent un travail artistique, comme le dessin, ou encore les ateliers que j’appellerais « occupationnels » (danse, peinture, écriture…) qui peuvent également soutenir un travail thérapeutique.

En art-thérapie, comme dans toute psychothérapie, la personne vient avec une quête, parce qu’elle a un mal-être, une souffrance, souhaite se libérer de quelque chose. Elle vient rencontrer un thérapeute car elle veut changer, aller mieux, mais elle ne veut pas changer…
La demande est donc bien différente que celle de l’apprentissage d’un art.  

Il y a également différentes façons d’aborder ou de présenter  l’art-thérapie, avec une approche psychanalytique ou encore pour d’autres très le direct, c'est-à-dire l’interprétation et le dévoilement, différentes écoles qui axent davantage leur enseignement sur la psychopathologie, les concepts de l’art-thérapie, la durée des stages, et/ou les ateliers expérientiels.
En moyenne, la durée de la formation en art-thérapie est de 3 à 5 ans, le diplôme d’art-thérapeute est sanctionné par un mémoire de recherche. Les pré-requis sont BAC +3 minimum, avoir plus de 27 ans et un travail thérapeutique approfondi sur soi, avoir une pratique artistique confirmée. Elle est particulièrement destinée aux artistes et soignants.

Dans ma pratique, ce qui me semble essentiel c'est  de pas faire d'interprétations sauvages ou des dévoilements concernant les productions, les mots, les attitudes des patients, pour respecter leurs résistances au changement et de ne pas enfermer l’individu dans son symptôme. Comme dit Jean-Pierre Klein, la clairvoyance n’est pas le meilleur chemin pour aller vers la lumière, ni l’obscurité ; nous travaillons donc dans la pénombre et dans la stratégie du détour.

L’accompagnement se fait donc discrètement (mais avec exigence, c'est-à-dire sans se satisfaire de peu) dans la forme en train de se créer, sans interprétations ni dévoilement des significations inconscientes des productions. Séance après séance, et à chaque instant, c’est à nous art-thérapeute de créer les conditions pour que le patient, mine de rien et millimètre par millimètre, se révèle dans et par ses créations. 

Pour ce qui concerne concrètement un accompagnement en d’art-thérapie, en général, y a toujours un entretien préalable. Celui-ci permet de connaître les attentes et les besoins du patient. Ensuite, lors des séances d’art-thérapie proprement dites, qu’elles soient en groupe ou en individuel, il y a un temps d’accueil, avec une mise en implication qui prépare au temps de création. Après le temps de création, en fin de séance, il peut y avoir des échanges sur ce que le patient a vécu, ressenti, ce qui peut constituer le rituel de fin.
Le cadre et le dispositif de chaque accompagnement est conçu en fonction du groupe, ou du patient, et doit avoir du sens.

Pour ma part, en libéral ou en institution, pour les groupes,  je propose des séances de une à deux heures, ainsi que des séminaires d’une journée pour les adultes. En individuel, les séances ont une durée d’une heure.  Il y a toujours un temps de mise en condition, de mise en implication (relaxation, travail sur l'imaginaire, le souffle, l'ancrage...), qui prépare au temps de création, le temps de création proprement dit qu’elle que soit la médiation, puis, avant de clôturer, un temps d'échanges sur la séance. 

Le temps de création est toujours accompagné d'une consigne qui fait lien avec les séances précédentes, et en fonction de ce qu’amène le patient, pour lui permettre de se sentir contenu, rassuré, et de pouvoir cheminer dans le cadre de cette consigne. Par la suite mes consignes évoluent en fonction du patient, car finalement chaque séance est une création inédite !

Je finirai cet entretien avec quelque chose qui me paraît très important : le soin apporté par l’art-thérapeute à la création de son patient ainsi que le devenir de ses productions. Dans le cadre thérapeutique que je propose, les productions appartiennent à leur créateur mais restent à l’abri des regards dans l’espace thérapeutique. Elles ne sont donc pas exposées. A des intervalles que nous décidons ensemble (par exemple tous les 6 mois) ou bien en fin de thérapie, le patient emportera ses pièces, mais seulement celles de son choix. C’est alors un temps qui permet de revisiter son parcours en création et de se surprendre encore.

« Je ne fais que chercher la vie, tout cela échappe à la volonté, à la pensée. La vie n’est pas dans le visible ». Bram Van Velde, artiste peintre